Historique de l’estudiantina d’Argenteuil

L’estudiantina d’Argenteuil n’est pas “seulement” l’un des plus grands orchestres à plectre en France à l’heure actuelle, c’est aussi une école technique renommée qui a formé de nombreux professionnels. Rien de comparable, en apparence, avec la poignée d’autodidactes des débuts qui se réunissait de façon informelle dans le local d’un parc pour interpréter les quelques pièces d’un répertoire démodé. Cette remarquable évolution qui a conduit la modeste association des origines à devenir un des principaux foyers de la mandoline en France, l’estudiantina la doit, en grande partie, à Mario Monti, son fondateur et chef spirituel. Qui était-il ?

Mario Monti : une jeunesse argenteuillaise

Comme nombre de leurs compatriotes, les parents de Mario Monti quittent l’Italie au début des années 1920 pour s’établir dans une France alors en reconstruction. Ils s’installent à Argenteuil où Mario Monti grandit et se découvre très vite une passion pour la musique. La guitare et la mandoline sont ses instruments de prédilection, dont il apprend à jouer de façon autodidacte.

Dans l’Argenteuil industrielle et populaire d’alors, les possibilités de suivre des études, musicales ou non, sont limitées et Monti commence à travailler très tôt comme ouvrier dans le bâtiment. En dépit de ses semaines de 48 heures, il pratique assidûment la musique et commence à se produire dans les bals le soir, notamment à la Libellule à Houilles, à l’ouest de Bezons, un bal réputé alors dans la région.

Monti n’a certes pas bénéficié d’un enseignement académique mais ses débuts dans les bals vont lui permettre de connaître et de s’adapter à un répertoire très diversifié allant de la musette au tango en passant par le jazz. Cherchant néanmoins à se former à la culture et la technique classique, il se rapproche du Cercle symphonique de Bezons, une société musicale disparue depuis mais sur laquelle Monti prendra modèle lorsqu’il créera l’estudiantina. Il fréquente également après-guerre un vieux maître mandoliniste, Mario Maciocchi, et tisse des liens avec ses anciens élèves. Durant les années 1950, il prend des cours d’harmonie, de composition et de contrepoint.

Fondation de l’estudiantina

À la fin des années 1940, Monti rencontre un guitariste, Hervé le Bis, membre d’un petit OAP de quatre ou cinq musiciens qui répète dans un local du parc Camélinat (à la limite entre Argenteuil et Bezons). Monti intègre l’orchestre puis en prend la direction. Une de ses premières initiatives est de structurer le petit groupe en association. Les statuts sont déposés en 1950. Mario Monti n’est pas au bureau (il n’a pas encore la nationalité française) mais c’est lui qui, de fait, dirige l’orchestre. C’est Fernand Boquet, ancien déporté, militant communiste et adjoint au maire qui sera le premier président.

Rapidement, la petite estudiantina argenteuillaise commence à accueillir et former des jeunes au solfège et à la pratique instrumentale. Les cours s’organisent, au début, avec les moyens modestes de la structure. Le local du parc Camélinat accueillera tous les dimanches matin les enfants du quartier. Les bases du solfège leur seront d’abord enseignées, puis la technique instrumentale. Lorsqu’ils seront suffisamment autonomes, en général au bout de trois ans, les élèves pourront alors intégrer l’orchestre. Ne pouvant assurer seul toute la formation, Monti est secondé par ses pairs. Les autres adultes interviennent à
des niveaux divers, en faisant répéter les leçons de solfège, parfois en assurant eux-même une partie des cours, ou comme chefs de pupitre.

Tout au long des années 1950, l’école, portée par la direction efficace de Monti et par le dévouement de ses membres va croître de façon continue. Monti challenge ses jeunes instrumentistes en les faisant participer aux concours de la Confédération musicale de France, et l’orchestre monte progressivement dans le classement jusqu’à atteindre la division d’honneur en 1975.

Le début du partenariat institutionnel

En 1966, Monti est pressenti pour assurer les cours de guitare à l’école de musique de Sartrouville qui vient de s’ouvrir. Presque dans la foulée, celle d’Argenteuil est créée et, ici aussi, l’équipe municipale se tourne vers le fondateur de l’estudiantina pour prendre en charge l’enseignement de la guitare et du solfège. Après approbation du bureau, Monti devient professeur à l’EMM d’Argenteuil tout en restant directeur de l’estudiantina ; une double fonction stratégiquement importante pour l’association, car elle lui permettra de conserver des liens étroits entre orchestre et école (c’est toujours le cas aujourd’hui). Peu à peu, les mandolinistes vont intégrer la classe de Monti pour constituer la majeure partie de ses élèves.

C’est le début du partenariat entre l’école municipale et l’association, chacune se voyant affectée un rôle défini : à l’école revient l’enseignement individuel du solfège et de la technique instrumentale, à l’estudiantina la gestion de l’orchestre (concerts, répétitions, etc.). L’élève suit les cours dans l’école et valide sa pratique orchestrale dans l’association.

En 1970, l’ouvrier ajusteur Mario Monti, désormais professeur titulaire à l’école de musique, quitte son emploi à l’usine. À 47 ans, il a enfin le champs libre pour se consacrer exclusivement à la musique.

Le répertoire

Monti entreprend alors un long travail pour étoffer et moderniser le répertoire. Celui-ci, à l’époque où il prend les rênes de l’association, souffre en effet de plusieurs handicaps. Il est d’abord difficile de trouver des œuvres pour le type particulier de l’orchestration à plectre. La plupart des contributeurs de la période d’avant-guerre sont des musiciens amateurs qui ne songent pas à déposer leurs opus dans les sociétés d’auteurs. La disparition de nombreux OAP durant les années 1940 signe aussi celle de nombreuses pièces du répertoire.

Celles qui restent en circulation sont constituées pour beaucoup de polkas, mazurkas, scottish, mais aussi de quelques arias italiennes célèbres, une esthétique plus vraiment au goût du jour dans les années 1950. Monti, qui souhaite actualiser le répertoire et l’orienter vers une musique plus « sérieuse » va entamer un long travail de transcription d’œuvres classiques. De nombreuses pièces de Schubert, Mozart, Britten, Ravel, Debussy ou Moussorgski seront ainsi adaptées pour l’ensemble. Cette pratique n’est pas propre à l’estudiantina d’Argenteuil. On la retrouve aussi dans les autres OAP, ou dans d’autres orchestres de la tradition orphéonique, comme les harmonies, confrontées, elles aussi, au désintérêt des compositeurs consacrés (lire à ce sujet Gumplowicz, Les Travaux d’Orphée).

Mais la rareté du répertoire ne justifie pas seule le recours à la transcription et à l’arrangement. Mario Monti, qui suivait depuis plusieurs années des cours d’écriture, avait acquis les connaissances nécessaires pour composer lui-même de nouveaux opus. Pourquoi ne pas l’avoir fait ? « J’ai essayé, répond-t-il, d’écrire pour orchestre à plectre, je n’ai pas insisté car je n’étais pas content de ma production, trop inspirée par des décennies de musique de danse » (Monti, Historique de l’estudiantina d’Argenteuil, p. 27).

Cette quête d’un répertoire savant adapté ou adaptable aux orchestres à plectre et à la mandoline va amener Monti à explorer des répertoires plus anciens. Il entreprend un travail de recherches à la Bibliothèque nationale, d’où il exhume tout un pan du répertoire de la seconde moitié du 18è siècle. Monti s’intéresse aussi beaucoup à l’école allemande, qui, dès les années 1950, produit des compositions exigeantes pour OAP doublement inspirées par l’esthétique moderne et par le classicisme du 18è. (Wölki, Ambrosius, Fackler, Cogneti, Berend). Cette constitution, et reconstitution, d’un patrimoine va de paire avec une politique de commandes qui constitue un des axes forts de l’estudiantina.

La succession

Au début des années 1990, Mario Monti, qui approche de la retraite, cherche un successeur. C’est un de ses élèves qu’il pressent, Florentino Calvo, qui s’est formé dans les rangs de l’orchestre. Comme souvent dans les sociétés musicales, cette succession fera l’objet de tensions et plusieurs membres de l’association décident alors de créer leur propre structure, l’Ensemble Gabriel Leone.

Peu après l’arrivée de Florentino Calvo à la tête de l’estudiantina et de la classe de mandoline, l’école de musique d’Argenteuil devient école nationale. C’est la première ENM en France qui propose un enseignement de la mandoline, selon la revue le Plectre dans un article qui s’achève par l’interrogation suivante : « À quand une classe de mandoline dans un CNR ? » (Revue Le Plectre, n°5, mars 1993, p. 16).  C’est ce qui se passera quelques années plus tard à Toulouse et Annecy tandis que le pôle supérieur d’enseignement artistique Paris-Boulogne-Billancourt verra bientôt la création d’une classe de mandoline.

Près d’une vingtaine d’élèves de la classe de Florentino Calvo sont devenus des professionnels réputés. L’orchestre lui-même a essaimé : Cécile Duvot assume la direction de Pizzicati depuis 2005 (Paris) et enseigne la mandoline au conservatoire du 18ème arrondissement de Paris. Flavien Soyer assure les cours de mandoline et guitare au conservatoire de Sartrouville, perpétuant, au passage, les liens historiques entre cette institution et l’estudiantina d’Argenteuil ; il vient par ailleurs d’être nommé professeur de mandoline au CRD d’Argenteuil. Perrine Galaup enseigne la mandoline au Conservatoire du 18ème arrondissement de Paris et Gregory Morello, qui s’est perfectionné au CRD et à l’estudiantina d’Argenteuil , vient d’être nommé professeur de guitare au Conservatoire d’Argenteuil et à celui du 18ème arrondissement parisien. L’estudiantina perd son fondateur en 2009 mais celui-ci semble lui avoir assuré un bel avenir.

Pierre Genty, janvier 2018